Grève de La Poste d'Ajaccio: un conflit fleuve qui continue à laisser des traces
[Vous devez être inscrit et connecté pour voir cette image]Les 93 jours de grève des facteurs CGT du centre du Vittulo ont débouché sur un protocole d'accord vivement critiqué par les organisations syndicales non majoritaires STC et FO.Jean-Pierre Belzit
Plus d’un mois après la fin d’un mouvement qui aura duré un gros trimestre, tout n’est pas forcément rentré dans l’ordre au centre du Vittulo. Si le courrier en souffrance a été distribué, le climat reste tenduLe 20 mai dernier, une soixantaine de facteurs du centre de tri et de distribution du Vittulo entamait un mouvement de grève sans précédent pour s'opposer au projet de réorganisation porté par La Poste. Un conflit qui allait durer un peu plus de trois mois, avant de prendre fin le 21 août, sous la pression des socioprofessionnels excédés par les conséquences de cette crise.
Au cours du véritable « bras de fer » engagé entre les grévistes et leur direction, plusieurs centaines de milliers de courriers n'avaient en effet plus été distribuées, occasionnant des nuisances parfois considérables aux usagers et des problèmes de trésorerie aux entreprises.
«Une cassure latente qui s'est révélée»Tandis que la question des indemnisations pour ces différentes sociétés n'est toujours pas réglée, les répercussions du mouvement continuent de se faire sentir à d'autres niveaux.
Pas tant dans les boîtes aux lettres, l'accumulation d'innombrables plis en souffrance ayant été finalement résorbée. Mais plutôt du point de vue du climat qui semble régner à La Poste.
Selon Jean-Bernard Poli, délégué CGT - syndicat majoritaire portant les revendications - le conflit n'a fait, à cet égard, que
« révéler au grand jour une cassure latente qui existait depuis environ trois ans entre la direction et les employés du Vittulo. Il y a un réel problème de confiance, lié à un management fait de certains agissements, voire même, disons-le clairement, d'incompétence. D'ailleurs, notre directeur d'établissement n'a pas hésité à partir en congés trois semaines lors de notre reprise du travail. »
Une défiance à l'égard du personnel encadrant qui s'est également manifestée, durant la grève, à l'encontre de l'ancien directeur régional, Bernard Espinasse, auquel Pascal Mariani a succédé depuis le 1er septembre. Accusé d'avoir délibérément laissé
« pourrir » le conflit, l'ancien directeur a tout de même eu droit à un cadeau de départ de la part des grévistes.
« Une cacahuète dorée - en référence aux cacahuètes jetées à travers la grille du centre où se barricadait la direction - avec l'inscriptionSans rancune
».
Si le geste visait à dédramatiser un épisode qui n'a pas été sans heurts, la situation d'après grève semble effectivement réclamer un certain apaisement.
« Nous aspirons à retrouver la sérénité et nous avons donc demandé au nouveau directeur régional, que nous avons pu rencontrer en début de semaine, que notre directeur d'établissement soit assisté dans sa tâche par quelqu'un d'impartial. M. Mariani paraît être un homme de dialogue et s'est engagé à nous rendre visite prochainement », précise Jean-Bernard Poli.
«Un échec cuisant»
Alors que la CGT évoque dans un récent communiqué le
« retour à la normale »au centre du Vittulo, des tensions perdurent néanmoins au sein du personnel lui-même, révélant des dissensions entre anciens grévistes et non-grévistes quant à l'appréciation du conflit et de son issue.
« Nous avons respecté notre engagement de distribuer sous vingt jours les plus de 600 000 plis en souffrance, même si La Poste en annonçait seulement 230 000, note le délégué syndical.
Le conflit a été long, épuisant financièrement et psychologiquement, mais nous a en définitive permis de sauver six emplois et d'avoir des garanties sur les cinq ans à venir. Même si certains collègues critiquent notre mouvement, c'est une victoire de la solidarité et nous remercions tous ceux qui nous ont soutenus. »
Un point de vue que les représentants STC et FO du personnel considèrent pour leur part avec amertume, si ce n'est avec colère.
« Une victoire à la Pyrrhus. Tout ça pour ça ! »résume ainsi le titre d'un récent tract du STC, tandis que celui de FO fustige :
« 93 jours de grève pour obtenir ce que voulait La Poste ! »
« Sous prétexte d'être majoritaire, la CGT n'a rien voulu négocier et a fini sur un échec cuisant,précise le secrétaire régional FO, Fabrice Béranger.
Il a fallu une paralysie économique et sociale sur la ville et la honte sur tous les facteurs, pour en arriver à signer un tel protocole qui légalise la sécabilité gratuite sur l'île et qui est en deçà de ce que nous avions obtenu. »
Le représentant syndical explique que son organisation
« avait négocié avec la direction, avant la grève, pour réclamer que le travail supplémentaire soit rétribué. Par rapport aux conséquences de la sécabilité, nous avions notamment obtenu deux jours de repos supplémentaires et des compensations qui auraient pu faire jurisprudence sur l'île. »
Une déception partagée, donc, par le STC, qui dénonce aussi des
« attaques directes » et des
« tentatives de déstabilisation »durant la grève à l'encontre de ses militants. Un
« climat délétère » et un
« jeu de la calomnie, de l'humiliation, de la discrimination mené par les têtes pensantes de la CGT du Vittulo »sont en outre évoqués dans le tract déjà mentionné.
« Plus de la moitié du personnel avait au départ validé un plan de réorganisation, mais la CGT ne voulait parler que de son projet, pour finir sur une défaite,commente la déléguée syndicale, Marie-Madeleine Poli.
J'espère que le nouveau directeur parviendra à prendre les choses en main, mais il est certain que les plaies ouvertes par ce conflit vont être difficiles à panser. »
Un constat d'autant plus criant à l'approche des élections professionnelles du 4 décembre.
Corse Matin